Le Kurdistan irakien ne se remet pas du choc provoqué par l’EIIL

22.08.2014 Vatan
Traduit par: Haldun BAYRI /
Orjinal Metin (tr-22/08/2014)

Avec mon ami le photographe İlker Akgüngör, nous avons passé les journées des 19 et 20 août dans les territoires du Gouvernement Autonome du Kurdistan, surtout à Erbil. Nous étions déjà allés trois fois au Kurdistan ensemble. La première fois, c’était il y a dix ans. La guerre civile en Irak battait son plein, mais sans toucher beaucoup les Kurdes. Tout en essayant d’empêcher que la contagion de la guerre puisse les atteindre, ils étaient essentiellement occupés à la construction de leur propre État. Lors de nos séjours de l’an dernier, au mois d’avril, et cette année au mois de janvier, nous avions été témoins d’un Kurdistan en développement rapide, grandissant et s’enrichissant, devenu un pôle d’attraction pour les investisseurs des quatres coins du monde (et bien sûr de la Turquie aussi).
  Mais cette fois, changement total d’ambiance. Le calme a remplacé l’agitation, le silence a succédé au brouhaha, l’inquiétude et la peur ont remplacé l’enthousiasme. Et tout cela à cause de l’EIIL qui a envahi Sinjâr et Makhmour, et s’est approché d’Erbil.
Tout le monde ne parle que de l’EIIL (les Kurdes l’appellent DAIŞ en arabe). Dès que les nouvelles de conquêtes, d’invasions et de massacres de l’EIIL sont parvenues, de nombreux étrangers auraient quitté le pays, et même parmi les Kurdes il y aurait eu des migrations vers les régions proches de la Turquie et de l’Iran, jugées plus sûres. De mes entrevues, je déduis qu’avec l’opération aérienne des Américains et la résistance observée contre l’EIIL à  Sinjâr et à Makhmour, ainsi qu’avec la reprise de Makhmour permettant la sauvegarde d’une partie importante de la population des Ézidis, les Kurdes peuvent souffler un peu. (Demain je vais traiter plus largement le rôle clef que le YPG et HPG, dans la ligne du PKK, ont pu jouer contre l’EIIL à Sinjâr et à Makhmour, et ses conséquences sur les équilibres de la région.)

L’EIIL étonne

Pendant les deux jours que j’ai passés au Kurdistan irakien, j’ai clairement vu que les anciennes données, valeurs et critères ne sont plus suffisants pour comprendre et faire comprendre les bouleversements provoqués par l’EIIL.
  Ainsi, lorsque l’EIIL a pris Mossoul début juin et a proclamé un État islamique, voire un khalifat, j’avais pensé, et beaucoup d’autres comme moi, qu’il serait inévitable que l’Irak éclate en trois morceaux : kurde au Nord, arabe chiite au Sud, et arabe sunnite dans le reste du pays. Et de fait, on ne peut pas dire que nous nous sommes beaucoup trompés.
  Toutefois, l’avancée de l’EIIL vers Baghdad après Mossoul a suscité des commentaires sur le combat principal en Irak, qui serait vécu comme une affaire entre Arabes sur fond de clivages confessionnels, ce dont les Kurdes seraient les plus grands bénéficiaires. On faisait des pronostics sur la date de proclamation d’un État indépendant tant désiré, que les Kurdes accéléleraient en la justifiant par la nouvelle situation chaotique. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé. L’EIIL, au lieu de s’orienter vers Baghdad et le Sud du pays, a tourné le cap vers le Nord, et il a commencé à attaquer les Kurdes et envahir les territoires du Kurdistan. Et ces attaques ont montré que le Gouvernement du Kurdistan n’était pas du tout prêt pour devenir un État indépendant, et qu’à vrai dire, il avait même du mal à se tenir sur ses propres pieds, et à défendre tout seul ses territoires.

L’horreur suscitée par les vidéos de pure cruauté

Comment se fait-il alors que l’EIIL ait pu être si efficace en si peu de temps ? On en a beaucoup parlé, et on en parlera encore. Mais nous avons été témoins pendant nos rencontres en Irak du fait que l’image de l’EIIL est beaucoup plus importante que ne l’est sa véritable force. L’EIIL inspire la peur et l’horreur chez les gens, et il obtient cela principalement par les médias, et surtout par les réseaux sociaux. Al Qaida utilisait les réseaux sociaux pour la communication de son réseau planétaire. L’EIIL l’utilise pour un très large public et pour sa propagande avec grand succès.
  Dans ce contexte, on pourrait revenir à un débat qui nous occupait l’an dernier. L’EIIL et les organisations semblables produisent des films vidéos des exécutions qu’ils commettent en différents endroits et circonstances, et mettent ces enregistrements en circulation sur les réseaux sociaux. Beaucoup d’utilisateurs croient qu’en rediffusant et faisant circuler et en retransmettant le plus possible ces images, ils participent à la lutte contre l’EIIL en révélant son absolue cruauté. Mais ils se trompent absolument ! En agissant ainsi, indirectement, ils font au contraire eux-mêmes la propagande de ces organisations. Car la plupart de ces images sont prises et mises en circulation par ces organisations elles-mêmes, et elles ne les auraient sans doute pas enregistrées et diffusées si cela pouvait les gêner. Il est clair que les responsables ne sont nullement gênés par la circulation de ces images de cruauté. Le dernier exemple en est l’exécution de James Foley, photographe américain, et la mise en circulation de son enregistrement par l’EIIL.
  Nous avons observé au Kurdistan irakien qu’une telle propagande est tellement efficace que les Kurdes ont entamé la guerre contre l’EIIL dans un état, au départ, de grande démoralisation. Je voudrais donc encore une fois répéter avec force : ne regardez pas ces enregistrements, et ne contribuez pas à leur diffusion.

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