En utilisant son aile civile pour faire bouclier à ses fonctionnaires, la Cemaat commence à perdre sur tous les fronts : rapport d’évaluation des dégâts 11

31.07.2016 ovipot.hypotheses.org
Traduit par: Isabelle Gilles / ovipot.hypotheses.org/14403
Orjinal Metin (tr-20/12/2015)

L’article original a été publiée sur le site rusencakir.com le 17 décembre 2015 sous le titre “Hasar tespit raporu 11: Sivil kanadı sivil olmayan kanada kalkan olunca Cemaat topyekûn kaybetmeye başladı”.

L’analyse diffusée sur medyascope.tv le 17 décembre 2015 a été restranscrite par Sedat Ateş

Aujourd’hui c’est le deuxième anniversaire du 17 décembre. En deux ans, il s’est passé beaucoup de choses en Turquie, il y a surtout eu de nombreux rebondissements dans la guerre qui oppose la confrérie Gülen et le gouvernement AKP. Nous avons pu observer des hauts et des bas, mais depuis un certain temps la situation prend une tournure nette. Pour le dire sans ambages, la situation se présente depuis longtemps en faveur de Recep Tayyip Erdoğan, au détriment de Fethullah Gülen.
J’avais intitulé mon analyse précédente du 9 novembre 2015, dixième de la série, “La lutte pour le pouvoir a pris fin, c’est l’hallali pour la Cemaat”. Depuis le 9 novembre, le processus de la chute de la Cemaat a progressé de manière importante. Désormais, les opérations se succèdent rapidement, des gens fuient, ceux qui n’ont pu fuir sont arrêtés. Loin de ne concerner qu’une poignée de noms connus, ces opérations ont lieu aux quatre coins de l’Anatolie, dans les bureaux, les associations, les hôpitaux, les cliniques, les associations d’hommes d’affaires de la Cemaat. Des femmes et des personnes âgées sont arrêtées indistinctement dans le cadre de ce processus mis en branle.
Quelle conclusion tirer de ces deux ans d’analyse ? Le 17 décembre 2013, je formulais la question dans les termes : “qui y perdra le plus ?”, car il ne peut être question d’un vainqueur dans une guerre de cette nature où chacun a à y perdre. Pour le moment, du côté du gouvernement, j’observe que Tayyip Erdoğan n’a pas perdu grand chose alors que la Cemaat apparaît perdante. Cela peut paraître vrai au premier abord, mais on peut affirmer avec une absolue certitude que le gouvernement et Recep Tayyip Erdoğan essuient continuellement des revers. Ils portent des attaques à la Cemaat et font en sorte de limiter la casse et d’essuyer des pertes moins lourdes qu’elle. Même si à court terme l’AKP apparaît vainqueur, les conséquences à moyen et long termes pour l’AKP et plus généralement l’islam politique en Turquie seront lourdes.
Les spectateurs le savent, dès le début de la guerre entre la Cemaat et le gouvernement, j’ai dit qu’une scission s’était opérée au sein de la Cemaat entre son aile civile (les établissements d’enseignement, de santé, les médias) et non civile c’est-à-dire au sein de l’État, de la bureaucratie, surtout la bureaucratie en charge de la sécurité, y compris dans l’armée qui fonctionne avec une hiérarchie propre, en dehors de la hiérarchie officielle. J’ai essayé de démontrer que ces deux ailes maintenant distinctes seront frappées indistinctement pour ne pas avoir su se dissocier auparavant. Évidemment, des cercles proches de la Cemaat ont dit que ce n’était pas vrai, qu’une telle scission n’existe pas, que j’instruisais à charge etc.
La situation actuelle est la suivante : parmi les personnes visées se trouvent aussi bien une poignée d’“imams de la Cemaat” que des personnes dont les sympathies pour la Cemaat sont de notoriété publique. Ils ont tout été mis dans le même sac. Côte à côte sur le banc des accusés, il y a un recteur d’université, le rédacteur en chef d’un quotidien, le président d’une fondation, et en même temps, ceux qui se donnaient un nom de code et vérifiaient l’infiltration de la Cemaat dans l’État.
Au final, en ne faisant pas de distinction entre ses deux ailes, en ne prenant aucune mesure pour protéger son aile civile et en utilisant cette dernière pour protéger son aile non civile, la Cemaat s’expose à une attaque massive. C’est désormais très net. Au début, des arrestations des policiers que l’on pensait liés à la Cemaat et des opérations visant les policiers arrêtés, nous avons assisté à leur défense par des personnes dont nous savons qu’elles font partie de la sphère civile de la Cemaat. À partir de ce moment, la Cemaat nous a donné à voir que ces deux ailes ne faisaient qu’un et depuis, ce sont ses fondations mêmes qui sont visées par de vastes opérations menées par l’État.
Lors du [mémorandum du] 28 février [1997], les militaires avaient pris pour cible la Cemaat et d’autres confréries mais jusqu’à présent en Turquie aucune communauté religieuse, aucune structure civile d’une confrérie n’avait été et n’aurait pu être attaquée de manière aussi brutale et impitoyable. Mais aujourd’hui, le gouvernement AKP emmené par Recep Tayyip Erdoğan mène une guerre totale contre toutes les structures de la Cemaat. Il cherche même à étendre son action hors des frontières. Car nous savons que si la Cemaat est mise en difficulté en Turquie, elle dispose d’un réseau à l’international qui lui permet de survivre. Nous observons que les personnes qui s’enfuient à l’étranger y poursuivent aisément leur vie. Mais l’AKP s’emploie de diverses manières à lancer des attaques sur la Cemaat à l’étranger, et s’il ne peut agir lui-même, il encourage ses représentants à prendre des mesures contre elle. Par exemple, pour faire de l’ombre aux écoles de la Cemaat, il tente de monter son propre réseau alternatif.
Bref, pour le moment, de nombreuses actions sont entreprises contre la Cemaat. En d’autres temps, en dehors de l’AKP, aucun parti ou gouvernement lié à l’islam politique n’aurait osé entreprendre une action de cette envergure. S’il l’avait fait, il aurait plus que probablement échoué, mais l’AKP ne semble jusqu’à présent pas rencontrer ce type de problème. L’une des raisons principales est que la Cemaat n’a réussi à rallier personne à sa cause. Lorsqu’on en demande la raison à des membres de la Cemaat, ils tentent de l’expliquer par le fait que les gens ont peur, mais en ce qui me concerne, je ne pense pas que la peur ait quoi que ce soit à voir là-dedans. Par le passé, la Cemaat s’était toujours contentée de coopérer avec les politiciens – particulièrement avec ceux de l’AKP – et ne s’était jamais préoccupée d’établir des liens égalitaires avec d’autres franges de la société, même avec les autres confréries de l’islam. Utilisant largement les ressources de l’état pour se renforcer, elle était distante voire hostile aux autres formations. Elle récolte maintenant en quelque sorte les fruits de cette attitude.
Aujourd’hui, les prisons regorgent de gens en rapport avec la Cemaat. Des journalistes, des gens des médias, et dernièrement, avec l’emprisonnement de Can Dündar et Erdem Gül, le combat pour la liberté de la presse est remis au goût du jour. La Cemaat y ajoute ses partisans emprisonnés, ceux qui subissent des pressions et les employés de ses organes médias. Cela s’est vu très nettement à la dernière veille qui s’est tenue à la prison de Silivri. Avant que Can Dündar et Erdem Gül ne soient incarcérés, on n’y tenait pas de veille pour les journalistes en lien avec la Cemaat qui y sont emprisonnés. Désormais, cela se fait, c’est-à-dire que la Cemaat s’arrime mais ne s’affiche pas au premier plan. La raison principale en est, évidemment, son palmarès jusqu’ici peu glorieux dans le domaine des libertés et droits fondamentaux.
Pour résumer ces deux dernières années : dans les premiers jours suivant le 17 décembre alors que les enregistrements sortaient, ils faisaient courir le bruit que le Premier ministre Erdoğan allait s’enfuir, donnant même le nom du pays dans lequel il se réfugierait – la Malaysie – et que bien des choses changeraient en Turquie. Et ils y ont sérieusement cru. Détail intéressant, une partie des artisans et relais de ces rumeurs sur les réseaux sociaux ont quitté le pays et ne peuvent y revenir. Le fond du problème est le suivant : 1) la Cemaat a surestimé ses capacités et 2) elle a gravement sous-estimé celles de celui qu’elle a pris pour adversaire et ne l’a pas bien cerné. En fait, la Cemaat paye lourdement depuis deux ans cette grave erreur de perception.
La lecture des événements sous l’angle d’une lutte de pouvoir entre l’AKP et la Cemaat que moi et d’autres personnes avons faite depuis le début des opérations du 17 et 25 décembre a été dénoncée dans les cercles de la Cemaat qui prétendait mener une lutte contre la corruption dans le cadre d’un processus légal. Crédible jusqu’à un certain point, cette version des faits a perdu toute crédibilité lorsque les procureurs chargés de ces affaires ont disparu dans la nature. Si ces procureurs avaient été mûs par l’idéal d’une société morale sans être affiliés à qui que ce soit, ils auraient pu se défendre avec courage et auraient obtenu le soutien d’une partie de la société, mais cela fait bien longtemps qu’ils ont totalement disparu de la circulation.
Je vais répéter une fois de plus ce que j’ai dit à maintes reprises : le fait que la Cemaat ait attaqué l’AKP et Recep Tayyip Erdoğan sur des accusations de corruption dans le but de s’emparer du pouvoir n’invalide pas ces accusations, mais en examinant ces accusations il ne faut pas perdre de vue le fait qu’elles ont pour objectif de faire tomber Recep Tayyip Erdoğan. Il ne faut surtout pas oublier que la Cemaat n’a aucune crédibilité en tant que défenseur de la démocratie, des libertés et droits fondamentaux au prétexte d’une lutte contre la corruption.
Pour mettre un point final à ce 11e rapport, au jour anniversaire du 17 décembre : la chute de la Cemaat s’accélère à vitesse grand V. Pour protéger ses fonctionnaires, la Cemaat a pris le risque d’utiliser son aile civile, c’est-à-dire son soutien dans l’opinion et elle en paye à présent le prix fort.




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