Comprendre l’EI(IL)

17.10.2014 Vatan
Traduit par: Haldun BAYRI /
Orjinal Metin (tr-18/08/2014)

J’ai reçu beaucoup de réactions et j’ai essuyé des insultes parce que j’avais comparé le PKK et l’EI(IL) en les définissant comme « deux forces ascendantes de la région » dans mon article de vendredi. Ces réactions m’ont rappelé celles qu’on nous adressait quatre ou cinq ans auparavant, lorsque nous tentions de comprendre le PKK dans nos articles — heureusement, avec les pourparlers de négociation, il y a une certaine détente dans les réactions. Certaines réactions soutiennent que, vus les assauts que la minorité ézidi endure à Sinjâr, il est insensé, voire inutile d’essayer de comprendre l’EI(IL) ; il y en a même qui affirment que cela fait le jeu de l’EI(IL).
Il y a aussi les théories du complot. Il est possible de trouver des liens que l’EI(IL) entretient avec toute sorte de puissances globales ou régionales, à commencer par les États-Unis et Israël. Ainsi vous mettez le point final et vous n’avez plus besoin d’y réfléchir. Par exemple il y a une désinformation qui circule depuis quelque temps dans les médias sociaux : Edward Snowden, ancien agent americain qui s’est réfugié en Russie après avoir révélé des informations secrètes, aurait prétendu que, derrière l’EI(IL), se trouvaient les services américains, britanniques et israéliens. Mais on ne cite aucune source crédible d’information qui prouverait ce qu’on avance. Ça ne fait rien, cette situation n’a pas empêché que cette désinformation se diffuse soudain dans les médias turcs.

La dimension sunnite-arabe
Pourquoi l’EI(IL) alors ? Sur cette organisation qui a brusquement bouleversé les équilibres régionaux, on pourrait poser une première question : s’agit-il seulement d’une structure islamiste rigide ? De l’entretien réalisé par Mutlu Çiviroğlu, un des journalistes qui suivent de près ce que l’on vit à Rojava en Syrie, avec Polat Can, porte-parole du YPG qui est en guerre contre l’EI(IL) (Polat Can: Nankörce bir provokasyonla karşı karşıya kaldık *tr), on pourrait déduire que la réponse est négative. À la question que pose Çiviroğlu: « À quoi assignez-vous cette efficacité de l’EI(IL) ? Les spécialistes disent que le nombre de membres de l’EI(IL) ne sont pas si nombreux, comment une telle organisation peut-elle réaliser autant d’assauts de la sorte ?», Can répond : «Certains militaires irakiens, surtout sunnites, travaillent pour l’EI(IL). Aujourd’hui ceux qui attaquent Sinjâr ne sont pas seulement les membres de l’EI(IL), ce sont les Arabes habitant les villages autour de Sinjâr. De nombreux Arabes, qui disaient hier qu’ils étaient amis des Kurdes, attaquent aujourd’hui Sinjâr. La plupart des Arabes qui sont les voisins des Kurdes, et parfois les témoins de mariage des Kurdes, rejoignent les rangs de l’EI(IL). Donc, aujourd’hui, les Arabes chauvinistes attaquent les Kurdes dans les régions de Moussoul et Tikrit, et leur nombre augmente chaque jour. En plus, puisque l’EI(IL) considère les prises de guerre comme khalal, la plupart de ceux qui rejoignent l’EI(IL), agissent en fait de concert avec eux pour posséder les biens de notre peuple. »

Différentes histoires et points communs    
Ce que raconte Polat Can de YPG recoupe partiellement les propos du ministre des Affaires Étrangères Ahmet Davutoğlu. L’EI(IL) est une organisation qui parvient vraiment à canaliser en sa faveur le mécontentement des Arabes Sunnites, exclus par les régimes de Syrie et d’Irak. Mais évidemment il ne s’agit pas que de cela. On sait qu’il y a des Kurdes (y compris de Turquie) et, en faible nombre, des Turkmènes dans l’EI(IL). Mais dans les rangs de cette organisation, il y a beaucoup de personnes qui ne sont pas des citoyens d’Irak ou de Syrie. On sait aussi qu’une partie de ces combattants se sont professionnalisés en participant aux guerres dans tous les coins du monde. En effet, l’EI(IL) ne s’est pas contenté d’instaurer un « État islamique », il a aussi proclamé un « califat ». Ce qui montre que cette organisation a un souci global, et probablement elle vise le trône d’Al Qaida. (Soulignons que l’EI(IL) se comporte d’une façon extrêmement impitoyable et sauvage contre les groupes islamistes qui le concurrencent en Irak et en Syrie.) 
Donc pour comprendre l’EI(IL), il faudrait réfléchir sur les problèmes que rencontre l’islamisme à travers le monde, les impasses et les crises des mouvements islamiques traditionnels, les raisons de l’essoufflement d’Al Qaida après un certain stade, et se demander comment l’EI(IL) a pu devenir si attractif  dans ce contexte.
En même temps, il est tout aussi indispensable de comprendre les jeunes de quatre coins du monde, qui accourent pour faire la guerre (et pour mourir) en Syrie ou en Irak. Pour cela, il faudrait considérer les différentes histoires de chacun, mais aussi leurs points communs et leurs différences. Est-ce qu’il y aurait des différences évidentes entre les motivations des participants de l’EI(IL) et celles des membres d’Al Qaida ? Le cas échéant, d’où viennent ces différences?
Il y a encore beaucoup de questions à poser, et beaucoup de choses à dire, mais arrêtons-nous ici, et ajoutons une dernière note : la facture sera très lourde si on continue à se fatiguer les méninges sur les relations stratégiques « profondes » jamais démontrables, en sous-estimant l’EI(IL), en ne le prenant pas au sérieux, et en refusant d’essayer de comprendre les facteurs qui lui donnent son vrai dynamisme. 

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